Mercredi 29 août 2007. Un jour en (Eau)vergne.
Je quitte Ussel, ville toute en longueur, après une nuit à l’hôtel de la gare, situé près de la gare comme il est d’usage. Un habitant me l’avait la veille conseillé augurant d’une tête de veau qui n’en aurait pas que le nom. La tête du jeune bovidé tint parole.
Ce matin donc, je me prépare à rouler sur les routes des pages 120 et 121 de mon guide Michelin 2001, atlas routier et touristique, grand format mais c’est celui que je préfère, il n’est peut-être pas très pratique à déplier cependant il a l’avantage de présenter sur 2 pages un territoire dans lequel je peux m’enfoncer et vadrouiller goulûment pendant toute une journée.
L’idée serait de commencer en Corrèze et de finir la journée dans le Puy de dôme, voire l’Allier.
Des routes étroites, des vaches marron pour la plupart, des forêts et des rivières à fond rouge, des villages déserts, un temps très long passé derrière une caravane Belge sur laquelle il est inscrit « Jésus Christ, the king of the kings » et un ciel qui se couvre.
Monestier-Port-Dieu et le site de la Vie qui donne sur la retenue du barrage de Bort-les-Orgues : magnifique. Désert et magnifique, une immense étendue longiligne d’eau verte fend les apiques boisés et en contrebas, au loin, un pré où paissent quelques bruns ruminants. Ici, la Vie semble s’être arrêtée il y a des milliers d’années, peu de rapports avec la ville. Strictement aucun même.
Le barrage devra être franchi pour continuer à l’Est. A Singles, un hameau carrefour, un restaurant d’aspect vieillot mais encore vivant ; je prends de l’eau à la fontaine et je lis le Menu : il est indiqué « Cuisine Familiale » et aujourd’hui, pieds de porc, purée. Le menu de chaque jour est inscrit sur une affichette proche de la porte et il est possible de commander à l’avance un plat différent de celui du jour. Une dame âgée, vêtue d’une blouse bleue à carreaux, sort discrètement, un pain sous le bras. Je suis tenté mais il n’est que 11H30 et je n’ai pas encore vraiment faim.
Le route serpente et grimpe fort jusqu’à Tauves où je reçois (enfin c’est surtout le toit de la voiture qui reçoit, heureusement, dans ces moments de grâce je ne regrette que très peu de ne pas être en moto) le premier bel orage du jour, il y en aura d’autres et de bien pires. Stationné devant une charcuterie j’attends que ça se passe, impossible de sortir, j’écoute Pat Métheny qu’accompagnent par giclées brusques et sauvages les chocs des gouttes – mais sont-ce encore des gouttes ?- sur la tôle et le verre du pare-brise. Je n’aperçois plus les façades à 10 mètres.
Et puis, comme toujours, ça se calme. Je sors de l’habitacle, entre dans la charcuterie, demande ce qui est fait « maison », achète 2 saucisses sèches mais pas trop et m’enquiers d’un bon restaurant qui propose de la cuisine traditionnelle dans le village ou pas loin. Un consensus se fait entre le charcutier et sa femme charcutière sur « l’hôtel de la Poste » à St Sauves d’Auvergne, à 9km de là « mais il faut rentrer dans le village parce que la route, elle fait le tour ».
Ca y est, je sens que j’ai faim.
St Sauve, j’ai quitté la route et je suis de nouveau à l’arrêt, devant cette fois l’hôtel de la Poste. Ce n’est pas qu’il pleut, il tombe juste des trombes, des tombereaux de flotte projetés au sol à mille à l’heure. La radio annonce de possibles orages dans le Centre ; ils devraient pouvoir éviter de dire « possibles » à l’heure qu’il est.
Profitant d’une légère accalmie, je me précipite à l’intérieur du restaurant. Au bar, 3 hommes prennent un verre et je demande au patron si je peux déjeuner. Il m’indique sans sourire une porte vitrée et une jeune femme d’origine asiatique me fait asseoir à une table de 4 où un homme est déjà installé. Je m’assieds à côté de lui, le salue, il répond dans sa moustache .Une autre jeune femme asiatique, plus jeune, s’active au milieu de la double rangée de tables. Les deux serveuses se parlent dans leur langue d’origine. Je pose mon journal sur la table, je n’ai pas très envie de lire, j’ai plutôt envie de discuter avec mon voisin.
Il est chauffeur livreur d’une entreprise de carrelage d’Issoire depuis 30 ans. Il connaît les routes par cœur bien sûr et les restaus aussi. Ici c’est un très bon pour les « repas ouvriers » , c’est copieux et c’est bon.
Quelques instants plus tard, je commande une Salers-cassis, une tête de veau en entrée, un confit de canard avec de la truffade.
L’homme me donne l’adresse d’une ferme où il va chercher du St Nectaire fermier depuis des années sur la route des Gorges de Courgoul. Il est vendu 13 euros ce qui pour lui n’est pas cher (cela s’avérera vrai). Il me parle de la difficulté des routes à partir de novembre, le plus mauvais mois, traître à cause des gelées surprises à la sortie des bois, des autres restaurants de ses tournées, il regrette celui de Georgette à Larodde où, même lui, avait du mal à finir ses frites – des vraies comme ici- tellement il y en avait et en plus la patronne l’engueulait, et d’un autre pas mal aussi à Picherande, tous très bien pour leurs repas ouvriers.
La tête de veau arrive, elle est superbe et la sauce aussi, dans une saucière à part. Je pense tout haut que le confit sera de trop. Mon voisin rigole en disant que je n’ai pas encore vu la truffade !
La tête de veau est délicieuse, une des meilleures que j’ai jamais mangé.
Un autre homme s’installe, une soixantaine d’années, cheveux gris, encore bien droit. Il est arboriculteur spécialisé dans les pommes depuis 5 générations et mon voisin routier le connaît de réputation. Il dit avoir été chef des pompiers de St Sauve et dès cet instant, le repas va être imagé de sauvetages et d’anecdotes étonnantes et/ou drôles survenues dans la région. Il sera question de Mitterand, dont tout le monde savait qu’il avait une fille, c’était un « secret de polichinelle » pour les gens d’ici, des sorties de routes arrosées d’un maire connu pour aimer un peu trop la bouteille, de l’ambulance réquisitionnée quand Giscard séjournait dans son château, d’une femme qui a accouché au bord de la route abandonnée là par son mari qui ne voulait pas salir sa voiture neuve,…
Le confit est passé. La moitié de la truffade aussi ; il y en avait pour trois.
La pluie tombe toujours mais moins dense et puis ça se lève. J’avais noté sur Internet qu’un producteur vendait du fromage fermier à Chastreix. J’en achète un à la ferme de la Bonne Etoile, www.croq-auvergne.com, derrière l’église, 14,31 euros pour 1,590 kg, bien emballé pour la route. Sortant du village, une pancarte indique la GAEC du Buisson. Une route étroite monte sinueuse à travers de très grands prés bombés, de différents verts selon la date de coupe j’imagine, de larges bâtiments et près d’une entrée, un écriteau « sonnez, on arrive ».
Je sonne, une petite dame, la quarantaine, vive, descend l’escalier de la maison. Elle me renseigne aimablement, me vend (14 euros sans le peser) un fromage qu’elle emballe soigneusement. Je la questionne à propos de toutes ces médailles accrochées aux murs, ce sont les récompenses pour ses Salers. Elle me les désigne du doigt en haut d’une colline, on distingue un mâle visiblement surpuissant. Et à côté, les Montbéliardes, pour le lait et donc le St Nectaire qui au mois de mai a des senteurs de fleurs des champs.
Bon, on est en août, tant pis.
Je prends quelques photos de l’impressionnante collection d’énormes médailles rouges, jaunes, bleues, rondes, ovales, rectangulaires et redescends. Il me faut faire de l’essence et je décide d’aller en prendre à Besse-en-Chandesse. Mal m’en prend. Plus je monte, plus ça tombe et en prime, le brouillard.
12° à 15heures, le 29 août en Auvergne.
Je m’arrête à Besse à une moyenne surface dont j’ai oublié le nom. Une jeune femme est assise dans la guérite de la station en pull, bonnet de laine et anorak. Elle prend mon chèque et m’indique la route. Je plonge au plus vite mais pas trop vu -façon de parler- le brouillard en direction de Murol et la vallée pour quitter cette satanée soupe opaque que je traverse depuis une heure.
Quelques dizaines de minutes plus tard, la route se nomme « Vallée verte ». Vu ce qui tombe elle risque de l’être encore pendant des années.
Un déluge. Une des luges même tellement la chute de neige est proche. Les automobilistes s’arrêtent les uns après les autres sur les bas-côtés, des torrents de boue dévalent des chemins et traversent la chaussée sans aucun regard pour l’étranger qui passe, à 20 à l’heure, accroché à son volant en tentant de distinguer la route à travers la cascade ininterrompue qui dégouline sur son pare-brise. Courageux ? Inconscient ? En tous cas il continue, il veut atteindre Murol et son château.
« Elevage de myocastors et de kangourous » ?!?!?! Je viens bien de lire kangourous ? Effets secondaires hallucinatoires de la tête de veau, confit et truffade réunis ???
Je continue et entre dans la ville. Pas un chat, pas une âme, juste un air plombé et de l’eau. Partout. Ca gicle, ça coule, ça se déverse. Des bouches d’égout sortent des geysers de 50 centimètres, les gouttières débordent sur les stores et sur les trottoirs, la rue principale, c’est l’Amazone !
Je stoppe devant l’hôtel « le Moneyrou ». Une jeune fille fume à l’entrée et rigole avec un homme en short et sandalettes. La radio annonce une vigilance orange pour les départements du Centre de la France en raison des orages à venir. J’attends que ça se calme.
Un quart d’heure. La rue n’est toujours qu’un torrent d’eau terreuse mais la pluie se fait moins violente. La jeune fille et l’homme en short ont disparu. Deux touristes Anglais habillés en touristes Anglais traversent la rue en courant. Ils se jettent à pieds joints dans le caniveau, trempés jusqu’aux genoux, ils éclatent de rire dans leur langue d’origine.
La radio signale qu’en Corrèze, il tombe déjà des grêlons gros comme des tripoux !
Des tripoux oui mais des grêlons, non. Je décide de remonter plus tôt que prévu et de passer Clermont dès ce soir.