Dans les jours de tristesse de ma petite enfance
Qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il vente ou même qu’il neige
Je quittais ma maison pour rejoindre la rivière
Et son odeur de vase humide et rassurante.
Tout au bout du jardin, entre deux rangées
D’immenses peupliers où viennent nicher les corbeaux et les pies,
Frontière naturelle bordée d’aulnes et de sureaux,
De fusains d’Europe, de noisetiers et de rouges églantiers,
Refuges naturels des petits passereaux et des nombreux rats d’eau,
La rivière circulait joliment, avec comme unique musique, son murmure intime
Et le chant des oiseaux.
Chaque hiver, c’était la crue –qui l’eut cru, Lustucru –
Alors, la Belle venait visiter notre jardin
Et les pâtures de la ferme qui nous faisait face et même,
Les années où elle était en grande forme, elle se faufilait comme un serpent
A l’intérieur des habitations qui, au matin, se réveillaient les pieds dans l’eau.
Tout, bien sûr, avait été anticipé et ce qui pouvait craindre
Avait été surélevé et entassé sur des chaises, tables, tréteaux, briques, tonneaux, …
Il suffisait d’attendre
Qu’elle regagne son lit et nous, la nuit, le notre.
Une angoisse douce et familière accompagnait notre sommeil,
Assez semblable finalement à la tendre inquiétude suscitée
Par la venue tant espérée du Père Noël le 24 décembre au soir.
Et s’il ne venait pas et si elle ne se retirait pas ?
L’eau ne nous appartient pas, nous en sommes irrévocablement dépendants.
Elle est un formidable cheval sauvage et nous, les hommes, trop souvent
Des apprentis-dompteurs incompétents, présomptueux et parfois destructeurs.
L’eau c’est notre vie. Il faudrait une fois pour toutes s’en persuader et
Tout faire, en tout lieu et à tout moment, pour la protéger définitivement.
Certaines années, alors qu’il ne restait dans le pré que quelques flaques
On pouvait découvrir un gardon ou une truite en train de patauger.
La marée les avait oubliés et c’est avec un filet à papillon
Que j’essayais de les attraper pour les remettre dans leur bain d’origine :
Ce n’était pas si facile !
La rivière s’était retirée, nous savions, qu’à moins d’un printemps terriblement pluvieux
Il nous faudrait attendre une année pour l’accueillir à nouveau.
Personne n’était dupe mais personne non plus ne la craignait.
C’était comme ça.