Lundi 1er mars, lendemain du passage sur la France de la tempête Xinthia qui, malgré les avertissements répétés et solennels de Météo France, aura laissé derrière elle plus de cinquante victimes, la plupart des personnes décédées ayant succombées à la noyade, dans leur lit, en pleine nuit. Résultat catastrophique de la conjonction de vents extrêmement violents et d’une grande marée à très fort coefficient, de la faillite de digues construites sous l’Empire et peut-être pas suffisamment consolidées au fil du temps et de constructions sollicitées et autorisées sur des terres inondables insuffisamment protégées. « La mer a toujours raison », « la Nature est la plus forte », « la Nature reprend ses droits »…des témoins vendéens s’expriment à la télé par lieux communs désabusés, inéluctables devant les décombres et les terres encore inondées. Et que dire d’autre.
« Nous ferons tout ce qui est possible…je débloque dès aujourd’hui X.millions pour… catastrophe nationale…Il est hors de question d’accepter qu’en 2010…Mes premières pensées vont aux familles…un rapport …un plan… … ». Larmes à l’œil et promesses en bouche, le Président de la France et le Premier Ministre s’expriment avec compassion devant les micros.
L’année 2010 commence bien mal. Un séisme à Haïti en janvier fait plus de 200.000 morts et c’est un million de haïtiens qui ont tout perdu. Début février, un autre tremblement de terre au Chili cette fois, tue plus de 700 personnes.
Les tempêtes à répétition, les tsunamis dévastateurs, la durée encore jamais vue de la sécheresse en Chine, les pluies torrentielles qui entrainent inondations et glissements de terrains, les chutes de neige énormes dans le Sud de la France et en Espagne à la mi-mars, sont-ce là les premières conséquences des grands changements climatiques annoncés ?
Ou pas.
Dans le même temps, le Salon de l’Agriculture ouvre ses portes à Paris, en l’absence remarquée et peu appréciée du Président de la France. (A sa décharge, il faut se souvenir que lors d’une précédente inauguration, un individu assurément très impoli avait refusé de lui serrer la main ; en retour le Président de la France lui avait adressé un élégant et très diplomatique « Casse-toi, pauv’ con ». Mais c’était au tout début de son mandat ! Il a changé depuis…il a même changé plusieurs fois).
Les élections régionales continuent à n’intéresser personne, la Grèce est en faillite et lors du classico PSG-OM, les supporters Parisiens se massacrent entre eux faute de Marseillais à se mettre sous la matraque ou la barre de fer (résultat : 3-0 pour Marseille et un homme de 38 ans entre la vie et la mort).
Je ne suis pas sorti du dimanche et l’air me manque. Ce lundi, sans être exceptionnelle, la lumière donne envie d’aller marcher, ne serait-ce qu’une petite heure. Dans les bois, pas question c’est un possible jour de chasse ; autour de chez moi, pas envie. Et la Butte, pourquoi ne pas aller faire le tour de la Butte de Doue ? Une belle petite montée qui ravira mon cardiologue, des paysages bien connus et appréciés, une route peu passante…j’y vais.
Je gare la voiture sur la place près du café où, m’a-t-on dit, d’irréductibles fumeurs Gaulois résistent encore et toujours. Je saisis l’appareil photo et commence à grimper. Des ouvriers profitent des vacances scolaires pour creuser un trou énorme devant l’école primaire et deux employés municipaux installent les panneaux électoraux. La côte est raide mais la route n’est pas droite.
Près de l’église, les ombres noires et tentaculaires des tilleuls s’étalent en silence sur le chemin et sur le mur du cimetière dans lequel un ami peintre repose. C’est la saison des jonquilles et j’irai bientôt me rappeler à son bon souvenir en lui déposant une poignée de ces fleurs jaunes, comme chaque année en février ou en mars, quand elles ont du retard.
Les employés croisés en bas de la côte balaient maintenant la route qui longe l’église, ils enlèvent les branches cassées par la tempête de la veille ; peu en réalité.
Et je redescends vers la ferme. L’air est doux, le soleil présent, je marche maintenant sur la route du bas de la Butte et tout en avançant, je regarde le bas-côté. De l’herbe, bien verte, bien grasse et assez vite, une première canette de bière en métal, cylindre d’une vingtaine de centimètres de long, des inscriptions gothiques. Encore de l’herbe, toujours de l’herbe et une autre canette de même format mais d’une autre marque. Et une autre, et …Tout en marchant, je suis de plus en plus intrigué, non comme on pourrait le croire par la quantité incroyable d’herbe qui recouvre le bas-côté (quand on y pense, c’est assez normal) , mais par cette volonté nettement affirmée des buveurs de bière-automobilistes de faire profiter le chaland qui passe de leur passion pour cette boisson maltée, en se délestant du contenant (après l’avoir dûment vidé) et cela c’est certain, à des fins décoratives : ajouter des petites taches de couleurs vives, ma foi très seyantes dans ce désert sans vie de vert.
Je regagne ma voiture, je roule et cependant, la curiosité me ronge.
La curiosité, c’est un bien bon défaut, un de ceux qui permettent d’avancer. Pas toujours dans la direction souhaitée, mais utile et nécessaire pour découvrir, comprendre, se situer, être vivant. Je suis convaincu de cela.
Dans un champ près de Boissy, trois jeunes hommes s’affairent autour d’un tracteur et de tuyaux de drainage. Je stoppe, prends quelques photos, entame la conversation. Ils travaillent pour une entreprise de Marchais-en-Brie, dans la vallée du Petit Morin près de Montmirail et préparent le matériel en attendant que leur patron arrive avec la draineuse. La superficie du champ est d’environ 6 hectares et ils pensent pouvoir faire le travail en 2 ou 3 jours. Cela me semble incroyable. Ils m’invitent à revenir prendre des photos en début d’après-midi, lorsque la draineuse sera là.
Seulement voilà, cet après-midi, je suis déjà pris. Depuis quelques minutes, je me suis mis en tête d’aller collecter toutes les canettes vides et bigarrées dispersées au gré du geste auguste du buveur.
C’est l’heure. Ganté et armé d’un sac poubelle, je ramasse, je ramasse. Je ratisse les deux bordures de route sur 400 mètres environ. Durant la demie heure, j’ai croisé trois voitures…route peu passante.
Il me faut être franc et précis, je n’ai pas trouvé que des canettes de bières. Quelques (mais moins que je ne pensais) paquets de cigarettes, une boite de cigares, deux bouteilles de Ricard et trois petites bouteilles de bière Kronenbourg.
Quant aux canettes : 53.
Sur 400 mètres d’une route peu passante, c’est quand même pas mal.
Avant de les mettre là où elles auraient déjà dû se trouver, je relève quelques noms : La Démon « bière blonde diabolique », bavaria spécialeblond beer, prestige spéciale pur malt, Amsterdam Navigator, Brauperle superstrong 8.0, Royal Club alcool 8% vol. premium ……Des noms qui, pour la plupart, inspirent le respect.
Alors, est-ce une mode de boire ces canettes tout en conduisant et est-ce une marque de virilité de les balancer ensuite sur la route ?
Est-ce que, comme l’on jette des pièces de monnaie dans certaines fontaines, cela porte chance de jeter ces récipients à cet endroit ?
Est-ce uniquement dans un but décoratif ?
Est-ce … …
Et au fond, qu’est-ce qui importe vraiment ? La Grèce et ses soucis financiers, la vie d’un supporter de foot, le succès d’un Salon, le résultat d’une élection locale, les centaines de milliers de morts des tremblements de terre, les dizaines de victimes d’une tempête ???
Il est des choses et des événements sur lesquels on n’a pas de prise, pour lesquels on ne peut rien.
Et d’autres, pour lesquels on peut, un peu.
Alors, ami fumeur et frère buveur de bière-automobiliste, n’hésite plus : décore ton jardin, décore ton balcon, décore ta maison et oublie un peu l’herbe des bords de route, tu verras, elle s’en remettra.