C’est une de ces journées très chaudes au cœur de l’été; le bitume claque, cloque, éclate sous les pneus des voitures. Les cyclistes roulent en espérant ne pas rester collés sur l’asphalte bouillant pendant que les marcheurs inconscients sont contraints de fouler les bas-côtés herbeux ou même le fond des fossés en compagnie des rainettes, des paquets de cigarettes vides et des emballages Mac Do.
Les vaches en troupeaux, Charollaises ou Holsteins, s’agglutinent dans les zones ombragées, en bordure du Morin. Les queues balancent nonchalamment d’Est en Ouest, en cadence molle. Ce sont ici de longs conciliabules têtes contre têtes, corps accolés, toutes tâches mêlées. Mais de quoi s’entretiennent-elles et jusqu’où remonte leur mémoire ? Jusqu’à Mac Orlan et son grimoire ou pas plus loin que la dernière traite d’hier au soir ?
Dans les champs moissonnés, les balles rondes apparaissent par dizaines comme par enchantement ; elles n’y resteront pas longtemps. Quelques chaumes seront brûlés, au grand dam des oiseaux, des mulots, musaraignes et autres dangereux petits carnivores. Les marchés des villes se vident, comme les mares aux canards, par manque d’eau, de clients et de camelots.
Je vais cet après-midi au Moulin de Frédéric – enfin pas vraiment à lui, il loue.
C’est un gros parallélépipède surmonté d’un toit où reposent quatre chiens assis. Des tiges de ferraille sortent des murs et des géraniums écarlates soulignent les bords des fenêtres. Des bâtiments de ferme y sont accolés et le Petit Morin le longe. Aulnes et saules bordent les rives.
C’est un coin discret et silencieux. A peine quelques canoës de passage, de rares pêcheurs et parfois, une bande de randonneurs.
Le Moulin, propriété de la famille Bourgeois comme trois autres dans la vallée, produisait de l’électricité avant guerre pour les villages de Montdauphin et Viels-Maisons. Un métayer y a exercé son activité d’éleveur et d’agriculteur jusqu’à l’arrivée de Frédéric qui, avec sa famille et ses chevaux, transforme en douceur les bâtiments et les prés alentour.
Je prends un livre, une paire de baskets usées, une serviette. Le plus souvent, je bouquine au milieu du courant, de l’eau jusqu’aux genoux. Aujourd’hui, l’eau doit être au moins à 20°.
Je me sèche, dos au vent et au soleil et je reprends mon livre. Un peu plus loin, les cris des filles de Frédéric qui se baignent près des vannages et le bruit du moteur d’une moissonneuse de l’autre côté de la rivière.
Ca pourrait être pire.
Seulement voilà : je me rends bien compte que j’ai de plus en plus de difficultés à faire la part des choses, même la part des gens. C’est comme ça.
Je ne comprends rien à l’importance du CAC 40 et j’avoue n’avoir aucun avis sur les 3% obligatoires afin de respecter les critères de Maastrich. Je suis horrifié et je me sens totalement impuissant face aux massacres en ex-Yougoslavie, aux génocides Africains, aux milliers d’enfants, de femmes et d’hommes égorgés en Algérie.
Nous sommes en 1997. Une simple parole du président de la Bundesbank à la sortie d’un restaurant New-Yorkais semble avoir plus d’influence sur la marche du Monde que toutes les déclarations des chefs de gouvernements.
Je ne comprends pas le sens de tout cela.
Ce qui se passe est troublant, souvent terriblement injuste et injustifiable, incompréhensible.
Dans le même temps, aujourd’hui encore, j’éprouve du plaisir, à 3 ans de l’an 2000, à piquer une tête dans un trou d’eau du Morin ou à éplucher des haricots, le cul dans l’herbe, les pieds dans l’eau tout en guettant du coin de l’œil l’éventuel passage supersonique du Martin Pêcheur, hôte de ces lieux.